La langue française – Bonnes feuilles du “Petit manuel des valeurs et repères de la France”

Le “Petit manuel des valeurs et repères de la France” est un livre écrit par Dimitri Casali et Jean-François Chemain aux Editions du Rocher. D’une longueur de 160 pages, le livre est disponible à la vente depuis le 4 octobre 2017.

Veuillez retrouver ci-dessous un extrait du livre, portant sur la langue française.

 

« Pour moi, le français est la langue de l’intelligence » – Elie Wiesel 

En 1783, l’Académie de Berlin soumit à un concours cette question : « qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle, pourquoi mérite-t-elle cette prérogative, et est-il à présumer qu’elle la conserve ? ». Antoine de Rivarol, d’origine piémontaise, l’emporta avec son Discours sur l’universalité de la langue française. La clarté et la logique de notre langue en fondent à ses yeux la supériorité : « Ce qui distingue notre langue […], c’est l’ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d’abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l’action, et enfin l’objet de cette action : voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l’objet qui frappe le premier. C’est pourquoi […] l’inversion a prévalu sur la terre, parce que l’homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison. »

Le français n’est pourtant, on l’a dit ailleurs, qu’une langue issue du bas-latin, comme les autres langues romanes (l’Italien, l’espagnol, le roumain, le portugais), dont il ne se distingue donc pas en cela. Celui-ci fut soumis à de fortes influences celtes, qui ont laissé de nombreuses traces dans le domaine de la vie courante : les paysages (chemin, bruyère, caillou, chêne…), l’agriculture (charrue, arpent, borne, bâche…), ou encore le commerce de produits que consommaient peu les Romains (tonneau – invention gauloise, crème, tanche…). Elles lui ont aussi apporté des évolutions phonétiques spécifiques, tel le son « u », ou le suffixe –ons à la première personne du pluriel. Puis la conquête franque, et plus largement germanique, a enrichi notre langue d’un bon millier de termes, comme dans le domaine de la guerre (guerre, butin, galoper, éperon, hache, heaume…) ainsi que d’autres évolutions phonétiques, comme le h « aspiré » (haine, harnais, hêtre…). N’oublions pas les influences normandes, particulièrement dans le domaine maritime – vague, écume, varech, tanguer, quai, quille, hauban… et bitte (avec deux « t » quand il s’agit de s’amarrer, un seul pour les autres usages, mais c’est le même mot « pénis » en vieux scandinave) !

A tous ces apports de peuples fixés sur le sol français il faut en ajouter beaucoup d’autres, comme bien sûr celui de l’arabe, souvent par l’intermédiaire de l’espagnol, notamment dans le domaine des sciences (algèbre, zéro…) ou celui du commerce (bazar, douane, magasin…). A l’époque de la Renaissance, le Français s’enrichit encore de nombreux néologismes d’origine latine et grecque, ou d’emprunts volontaires à d’autres langues, notamment l’italien, jugé plus riche. Ce renouvellement fut l’œuvre, entre autres, des sept auteurs du groupe de la Pléiade, dont les plus fameux sont Pierre de Ronsard (1524-1585), le « prince des poètes », et Joachim du Bellay (1522-1560), qui jugeaient alors notre vocabulaire trop pauvre.

Grossi d’affluents linguistiques si nombreux et si divers, le fleuve de la langue française est toutefois devenu tellement puissant et capricieux – on se souvient des regrets qu’en a exprimé Montaigne, qui craignait qu’on ne le comprît plus dans cinquante ans ! – qu’à l’époque de la Renaissance on eut besoin de le canaliser. Par l’Édit de Villers-Cotterêts (1539), François 1er en avait fait la langue officielle du Royaume, il fallait bien mettre un terme à sa bouillonnante évolution, comme à ses innombrables variantes régionales. « Enfin Malherbe vint » (Boileau) : François de Malherbe (1555-1628), poète officiel à la cour de Henry IV (1605), consacra son œuvre à réformer et épurer la langue française. D’autres la poursuivront, parmi lesquels Nicolas Boileau (1636-1711), « le législateur du Parnasse », à qui l’on doit ces vers passés au statut de maxime : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Cela exige bien sûr, de la part de l’écrivain, un important travail sur la langue : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez, ajoutez quelquefois et souvent effacez ».

Couv Petit Manuel des Valeurs et repères de la France
La couverture de “Petit manuel des valeurs et repères de la France” par D.Casali et J-F Chemain

Richelieu vint compléter ces efforts individuels par la création, en 1635, de l’Académie française, dont la mission est de « donner des règles à notre langue et la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences » (article XXIV de ses Statuts), en travaillant notamment à son fameux Dictionnaire. Aux objectifs de fixation et d’uniformisation s’ajoute celui de précision, qui fera du français une langue particulièrement propice à la pensée. Car c’est sans doute cela la particularité de notre langue : c’est une langue académique, qui oblige à réfléchir, ce qui en fit pendant des siècles la langue de l’intelligentsia européenne. Un écrivain étranger francophone constatait que cette exigence de notre langue mettait tous ses locuteurs, qu’elle soit ou non leur langue maternelle, à égalité.

Le français est un attribut de la souveraineté de la France, un véhicule de la culture française, une langue politique, en somme. Un Décret de 1996 sur l’enrichissement de la langue française, oblige à la création de néologismes pour désigner des réalités nouvelles (techniques, sciences, arts…), et impose au JO de ne publier que des mots français. Parler le français, langue codifiée par l’Etat, ou par l’Académie française, émanation de celui-ci, c’est se reconnaître dans la culture française, les valeurs de la France, cela engage. C’est une sorte d’allégeance à la France et à tout ce dont elle est porteuse.

Il reste aujourd’hui, une récente enquête de l’INSEAD le révèle, la troisième langue la plus parlée dans le Monde, supplantant l’espagnol, et certains prophétisent qu’en 2050 elle sera même passée en tête, grâce à l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne. Le français jouit en outre d’un statut international incontesté : il est l’une des six langues officielles, et l’une des deux langues de travail, de l’ONU, ainsi que langue officielle et de travail de plusieurs organisations internationales dont l’Union Européenne. L’Organisation internationale de la francophonie, créée en 1970, comprend 84 Etats (54 de plein droit, 4 associés et 26 observateurs), qui ont en commun la langue française, mais aussi – en principe – les valeurs de la France. Ils représentent près d’un milliard d’habitants, répartis sur cinq continents. Toujours selon un récent sondage, réalisé dans les pays étrangers par Babbel, en 2015, le français reste la « langue de l’amour », et même lorsqu’ils s’essayent à parler une langue étrangère nos compatriotes sont jugés avoir « l’accent le plus sexy » par 37 % des sondés (parmi 15 réponses possibles).

Alors pourquoi tous ces complexes ? Car le français paraît toujours sur la défensive ! On se plaint de l’invasion – incontestable – du « franglais », même s’il est aisé de reconnaître, derrière nombre des termes de ce dernier, un mot français. La conquête de l’Angleterre par le francophone Guillaume le Conquérant (1066) a en effet massivement introduit notre langue outre-Manche (quand on « sèche » sur un mot anglais, on a encore de bonnes chances de s’en sortir en essayant le mot français : table, prison, detail…). Le business n’est-il pas le fruit de la « besogne », et les people des gens dont la vie passionne le « peuple » ? Certains sont des mots anciens, tombés en désuétude, qui retrouvent ainsi une nouvelle vie dans leur patrie d’origine : challenge est issu de « chalenge », de calumnia, « contestation », qui a aussi donné « chicane ». On peut certes être agacé par cette propension, caricaturale dans les écoles de commerce, à utiliser l’équivalent anglais d’un mot français.

Certains spécialistes de la « concurrence linguistique » considèrent que, dans un monde en pleine évolution technologique et culturelle, la capacité d’évolution de sa structure, ainsi que la facilité de création de néologismes, sont la condition de survie et de développement d’une langue. La trop grande rigidité actuelle du français constitue alors sans doute un obstacle à son dynamisme, dans le monde comme en France. On constate avec satisfaction que celui-ci dispose d’une certaine capacité d’adaptation, avec la multiplication de formes (pardon pour les termes savants qui vont suivre) qui lui étaient plus étrangères qu’à l’anglais : le génitif de juxtaposition (« les prix Carrefour »), l’ellipse subordonnante (« un timbre-poste »), les capacités appositionnelles (« un radio-cassette »), la dérivation d’adjectifs par préfixation (la peinture « antirouille », le palais « omnisport »)… Réjouissons-nous donc avec eux de la multiplication de ces monstres, si telle est la condition de survie du français !

Ce que l’on ne saurait accepter, c’est de voir les élites de notre pays capituler en rase campagne non plus face au « franglais », mais à l’anglais. Que dire des réunions, en France, dans des sociétés françaises, où la totalité des participants sont français, mais qui se déroulent en anglais ? Parfois la trahison se fait au grand jour, comme lorsque E.-A. Seillière, en 2007, prononça un discours en anglais, « parce que c’est la langue des affaires », provoquant la fureur de Jacques Chirac qui avait alors ostensiblement quitté la salle… Furieux, le Président l’était déjà à Jérusalem en 1996, lorsqu’il s’énerva ainsi en public : « This is a provocation ! Do you want me to go to back to my plane ? ». Sied-il à un chef d’Etat français de s’énerver en anglais ?

Peut-on cependant s’étonner du recul général du français quand les Français eux-mêmes ne l’apprennent plus correctement ? Le volume horaire qui lui est consacré au collège a diminué d’un quart depuis le début des années 1970, quand se massifiaient les flux migratoires. Dans les quartiers où ont longtemps enseigné les auteurs de cet ouvrage, les exigences sont réduites au minimum, tant sont nombreux les élèves dont personne ne parle français à la maison. Un collégien sur cinq ne maîtrise pas la lecture en fin de 3ème… Alors les pédagogues réforment l’orthographe, la grammaire, pour mettre tout le monde au même niveau. Le plus bas : il ne faut pas désespérer la banlieue ! Le résultat de ce laxisme est là : il faut voir dans quel charabia sont rédigées nombre de copies universitaires. La France défigurée…

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