Honneur et gloire – Bonnes Feuilles du « Petit manuel des valeurs et repères de la France »

Le “Petit manuel des valeurs et repères de la France” est un livre écrit par Dimitri Casali et Jean-François Chemain aux Editions du Rocher. D’une longueur de 160 pages, le livre est disponible à la vente depuis le 4 octobre 2017.

Veuillez retrouver ci-dessous un extrait du livre, portant sur l’Honneur et la gloire.

 

« Quand j’aurai appris qu’une nation peut vivre sans pain, alors je croirai que les Français peuvent vivre sans gloire » – Napoléon 1er

La France et les Français ont, depuis toujours, un sens aigu de l’honneur et de la gloire. Consultons le Larousse. L’honneur : « ensemble de principes moraux qui incitent à ne jamais accomplir une action qui fasse perdre l’estime qu’on a de soi ou celle qu’autrui nous porte ». La gloire : « renommée éclatante, célébrité, grand prestige dont jouit quelqu’un dans l’esprit d’un grand nombre de personnes ». Il s’agit, dans les deux cas, d’une question de regard, celui que nous portons sur nous-mêmes, et celui que les autres nous portent.

Le Français est individualiste, et fier, et courageux. C’est inscrit dans son nom : « franc », cela veut dire « libre » et « vrai », héritage de ces guerriers francs qui ont soumis la Gaule gallo-romaine. « Ma France, […] votre nom, miroir de toute vérité… », lui écrivait la comtesse Anna de Noailles, née Brancovan, princesse roumaine tombée amoureuse d’elle (« Le Pays », 1912). Tout franc, d’où tout français, était un insoumis, qu’on se souvienne de l’épisode du vase de Soissons : un simple guerrier pensait avoir le même droit sur le butin que son roi en personne, dût-il y laisser la vie.

Individuellement, il est querelleur, comme le village gaulois d’Astérix, où un rien entraîne une bagarre généralisée. Le duel y fut, longtemps, le meilleur moyen de régler les différends, surtout quand l’honneur était en jeu, et d’autant plus, encore, quand le roi, c’est-à-dire l’État, l’interdisait. Le Français défendait au péril de sa vie l’estime qu’il avait de lui, et que les autres avaient de lui, et cela même si l’ancêtre de « Big Brother » et du Léviathan le lui interdisait… sous peine de mort. On a connu des duels célèbres, comme le Duel des Mignons (1578), où six jeunes favoris d’Henri III s’entretuèrent sur le marché aux chevaux de Paris pour la faveur du roi ; quatre moururent, un fut blessé. C’est par centaines que les gentilshommes s’entretuaient chaque année, parfois par milliers, à l’épée, au sabre ou au pistolet. Mais les roturiers n’étaient pas en reste, bourgeois ou même simples paysans, qui se battaient sans armes (« jeux de mains, jeux de vilains »). La législation royale, jamais, n’y put rien : se battre en duel, c’était résister au pouvoir. Richelieu justifia ainsi auprès du roi Louis XIII l’exécution Montmorency et Rosmadec, coupables de s’être sciemment battus en duel place Royale, à Paris, pour le défier : « Sire, il est question de couper la gorge aux duels, ou bien de couper la gorge aux lois de Votre Majesté » !

Couv Petit Manuel des Valeurs et repères de la France - Honneur et Gloire
La couverture de “Petit manuel des valeurs et repères de la France” par D.Casali et J-F Chemain

La Révolution n’a pas interdit cette pratique, mieux, elle en a aboli la répression. Ce faisant, elle l’a moins démocratisée qu’elle a anobli la Nation tout entière, qui s’engouffra durablement dans cette manière aristocratique de laver son honneur. La pratique des duels se généralisa. Joseph Conrad a raconté dans Le duel (1908), dont Stanley Kubrick a tiré son film Les duellistes, l’histoire véridique des duels à répétition entre deux officiers de hussards de l’Empire, pour un motif initial dont chacun avait sans doute perdu le souvenir. La pratique ne se limite pas au milieu militaire. Un matin de 1832, Évariste Gallois meurt à vingt ans pour une affaire de cœur (« je meurs victime d’une infâme coquette »), après avoir passé la nuit à rédiger d’ultimes notes qui révolutionneront les mathématiques. Mais la presse et la politique en seront les terrains privilégiés. Le journaliste Paul de Cassagnac soutint vingt-deux duels au cours de sa carrière, Henri Rochefort vingt. Quant aux politiques, on se souvient de Georges Clémenceau et de ses douze duels, dont l’un, célèbre, contre le poète nationaliste Paul Déroulède (1892), et de celui entre Gaston Defferre, alors député-maire de Marseille, et le député de droite Paul Ribière, qui l’avait, en plein hémicycle, traité d’ « abruti » (1967)… La boucherie démocratique de la première Guerre Mondiale a largement mis un terme à cette pratique : il faut dire que le sang français était devenu cher.

 

Mais elle nous a laissé la recherche de la gloire, que nous pratiquons collectivement. Nos batailles résonnent encore des cris de nos chefs, qui toujours préférèrent la mort à la honte. « Tout est perdu, fors l’honneur ! », s’écrie François 1er, prisonnier au soir de la défaite de Pavie (1525). « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » lance courtoisement à l’ennemi le comte d’Anterroche au début de la bataille de Fontenoy qui fut, elle, une grande victoire (1745). A quoi fait écho le célèbre : « M… ! La Garde meurt mais ne se rend pas ! » du général Cambronne à Waterloo (1815). Napoléon, qui nous en a tant donné, a bien compris cette fringale nationale de gloire, promesse de notre hymne national : « Allons enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé ! Contre nous, de la tyrannie… ». La France n’est pas seulement héritière des Francs, elle est aussi celle des Romains, pour qui la gloria allait de pair avec la libertas… Et celle des Gaulois qui, l’historien latin Tite-Live le raconte avec horreur, se battaient parfois tout nus, dans l’indiscipline la plus totale, avec leur sang pour tout vêtement, pour montrer qu’ils ne craignaient pas la mort.

« Gloire » rime souvent avec « victoire », l’Empereur l’avait compris, lui qui nous légua un Arc de Triomphe – achevé sous la Monarchie de Juillet – aux 158 victoires et 600 généraux. Mais certaines défaites aussi sont glorieuses. Celle de Camerone (30 avril 1863) vit 63 hommes de la Légion résister toute une journée à 2.000 soldats mexicains. Après neuf heures de combat, les survivants – un officier, un sous-officier et quatre hommes de troupe – à bout de munitions, chargent à la baïonnette. « ¡ Pero estos no son hombres, son demonios ! » (« Mais ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ») s’écrie, médusé, le colonel mexicain Milan. C’est la furia francese, célébrée par Stendhal. Le souvenir du 30 avril est célébré chaque année par la Légion, qui leur dédia ces mots dignes de ceux des Thermopyles :

Ils furent ici moins de soixante
Opposés à toute une armée.
Sa masse les écrasa.
La vie plutôt que le courage
Abandonna ces soldats français
À Camerone le 30 avril 1863

On pense aussi, parmi tant d’exemples que l’on ne peut hélas tous citer, à cette magnifique charge de nos chasseurs à cheval à Sedan (1870) qui arracha au roi de Prusse ce cri admiratif : « Ah ! Les braves gens ! ».

Mais notre honneur et notre gloire, à nous Français, fut aussi d’avoir su porter au Monde les promesses de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité. Nous ne nous sommes pas battus que pour nous, pour agrandir notre territoire ou accroître nos richesses – ce qui ne veut bien sûr pas dire que nous ne l’avons jamais fait, comme tout le monde ! – mais pour des principes universels, issus de notre imprégnation catholique (catholique signifie précisément « universel »). Notre Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1789) s’adresse à tous les Hommes.

La geste glorieuse de la France comporte bien des pages sombres, et qui la divisent encore, souvenirs de faits nobles et héroïques accomplis dans ces trop nombreuses guerres civiles qui souillèrent notre pays. A Rome, qui en connut beaucoup, le bellum civile qui dresse le frère contre le frère et le fils contre le père, était toujours néfaste et maudit par les dieux. Certains cultivent toutefois, avec raison, la mémoire de l’épopée chouanne face aux sinistres « colonnes infernales », d’autres celle des Communards massacrés au Mur des Fédérés par les Versaillais… Certains admirent le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, qui voulut au péril de sa vie rester fidèle à la parole donnée aux algériens partisans de la France, d’autres ces communistes qui affrontèrent crânement les balles allemandes auxquelles les avaient livrés des policiers français. Et pourtant, ne sont-ce pas tous des Français, qui ont donné leur vie avec panache, par fidélité à leur honneur ?

Il est aujourd’hui de bon ton de moquer, le plus souvent gentiment, cette propension nationale à la gloire : le coq (gallus en latin, d’où le jeu de mot avec gallus : gaulois) ne serait-il ainsi pas notre emblème national parce le seul à chanter les deux pieds dans la m…. ? Si c’est celle de Cambronne, eh bien tant mieux !

Mais plus grave est la propension de certains à la rejeter en bloc, avec des accents de catéchistes qui s’ignorent. « Cachez cette gloire que je ne saurais voir ! » protestent les nouveaux Tartuffe, qui font souvent moins les difficiles avec d’autres causes que celle de la France… « Évacuons des programmes scolaires les grands personnages, et les grandes victoires, et les nobles attitudes, et tout ce qui est beau, et grand, et fort ! Pas un mot sur Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram et La Moskowa ! Napoléon n’était qu’un dictateur, n’est-ce pas ? Et Verdun une absurde boucherie subie par des masses abruties de propagande ! Et la Résistance un radeau ʺépiphénoménalʺ surnageant dans un océan de collaboration ! Noircissons le tableau national, faisons repentance. Si on doit réenchanter la vie, que ce ne soit pas avec les chants martiaux de nos Anciens, comme ʺla République nous appelle, sachons vaincre ou sachons mourir !ʺ, qui sentent si fort sentent ʺle moisiʺ. Quant à cette jeunesse d’origine étrangère, dont souvent les aïeux ont fait Verdun, débarqué en Italie et en Provence et sauté sur Dien Bien Phu, tendons-lui les verges pour nous battre ! ».

Qu’elle est éloignée, cette France de l’honneur et de la gloire, notre France, de son antithèse, celle, misérable, des collectifs de pétitionnaires, des dénonciateurs anonymes du « fascisme » et de la « réaction », des accusateurs devant la 17ème Chambre du TGI de Paris et des fabricants des programmes scolaires !

La langue française et son petit manuel des repères et valeurs de la France.

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